9e Art (n°6)

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Sous une de ses plus belles couvertures (signée Joann Sfar), le sixième numéro de la revue annuelle du musée d’Angoulême se présente comme un excellent cru.
On commence avec un article réjouissant de A.-M. Delocque-Fourcaud intitulé « Pour un manifeste post-surréaliste » qui démonte le qualificatif « surréaliste », semblant récurrent dans les médias dès qu’il s ‘agit d’apprécier des bandes dessinées.
Après cette quasi-introduction, on plonge dans l’histoire de la bande dessinée et plus particulièrement celle amnésique de l’Amérique toute « yellow » à force d’oublier Töpffer. La vérité se fait jour petit à petit par deux historiens américains (R. Beerbohm et D. Wheeler), qui montrent que le dessinateur suisse a bien été publié en Amérique au milieu du XIXe siècle. Cet article clair et très documenté intitulé Töpffer en Amérique se double d’une histoire de l’histoire des comics renforçant encore davantage ses propos et son intérêt [1] ">plus de renseignements.

C’est la bande dessinée allemande qui est ensuite défrichée dans l’article Braun & Schneider : le berceau de la bande dessinée allemande de E. Sackmann. Cet historien allemand évoque l’histoire de l’éditeur des Fliegende Blätter et des compères Max et Moritz de Wihelm Busch, qui inspirèrent à l’Américain R. Dirks, à la fin du XIXe siècle, les Katzenjammers Kids.
Le gros dossier de cette année est consacré aux « bandes dessinées pour filles ». En liaison avec l’exposition du C.N.B.D.I. sur le même sujet, on y trouve les signatures des plus grands spécialistes : J.-C. Glasser (abordant les comics), J.-P. Mercier, M. Kidson (pour la bande dessinée anglaise), S. Giet, N. Dessaux, C. Ternaux, et Béatrice Maréchal (pour les « shôjo manga », une signature qui s’imposait, cette historienne étant certainement aujourd’hui la meilleure dans le domaine de la bande dessinée japonaise).

Ensuite survient un article malheureux et inutile sur Alechinsky (par Dominique Radrizzani), qui entretient les poncifs sur la relation bande dessinée/peinture.
Montant en neige certaines phrases de l’ex-membre du groupe Cobra à propos de la bande dessinée en général et d’Hergé en particulier, l’auteur de l’article oublie rapidement le format et la présentation des œuvres du peintre. Les fameuses cases qui encadrent l’œuvre d’Alechinsky ont, par exemple, plus à voir avec les prédelles de diptyques ou de triptyques qu’avec la bande dessinée.
Mais T. Groensteen remonte le niveau tout de suite après avec son article « Du minimalisme dans la bande dessinée » dont le seul défaut est d’être trop court (mais face à un sujet aussi vaste et passionnant on ne peut pas échapper à cette impression, et ce même si les trois quarts de la revue lui avaient été consacrés).

On termine en beauté avec deux dossiers (composé chacun d’un entretien et de deux articles) : un sur Alan Moore et l’autre sur Joann Sfar. Les deux articles sur Alan Moore sont parmi les plus remarquables. Un de Jan Baetens explore la « dialectique à l’œuvre » dans From Hell tandis que l’autre (signé T. Groensteen) en fait une lecture croisée avec les Watchmen.
Ces articles sont à mettre en rapport avec un autre texte tout aussi pertinent signé Harry Morgan croisant cette fois-ci From Hell et Louis Riel de Chester Brown. Le titre en est Raconter une histoire et montre les points communs, les différences et les nouveaux enjeux que provoquent deux œuvres s’emparant de l’Histoire avec un grand H.

Notes

  1. Un changement de point de vue qui fait bouger les choses comme on peut, par exemple, le voir dans cette page. Notons aussi que R. Beerbohm est à l’origine de l’excellente mailing-list Platinum Age Comics, à laquelle vous pouvez souscrire sur simple demande. Et
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Chroniqué par en juin 2001