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Algérie – La douleur et le Mal

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A l’Algérie dans l’entropie négative, que faire, comment faire pour que cela cesse ? Evidemment pas de réponse ici, pas de réponse par la bande à ces questions chaque jour de plus en plus vieilles et se laissant oublier …

Justement c’est l’oubli qu’a pour cible cet album. 8 bandes dessinées pour témoigner et augmenter l’empathie de ceux hors de ce malheur.
Ces buts étant fixés les 10 auteurs réunis ici ne vous parleront pas de cette Algérie plus au sud, après les montagnes, riche à en crever de son pétrole dont l’extraction n’a jamais été interrompue. Ils ne vous diront pas qu’il n’y a pas de massacres là-bas et qu’il y a beaucoup de militaires bien gras avec la mitraillette en érection. Ils ne vous diront pas à qui profite le massacre. Ni quels profits doivent rapporter les massacres. Non, l’image de la bande dessinée dans son appréhension du malheur d’un monde, ne vaut pas un long discours explicatif et/ou accusateur.

Malgré tout (car il faut continuer à vivre) la bande dessinée (humble) témoigne, d’où elle est et avec ses moyens. Les discours, les thèmes seront donc ceux de l’individu face à ça, (au ça ?), face à cette horreur.
Suivant la personnalité des auteurs, les histoires abordent ce thème sur différents registres. Certains comme Baudoin l’aborde sur un mode quasi ontologique. Baudoin se la joue vieux sage du Sud et nous offre une des bandes la plus décevante de l’album.
D’autres veulent comprendre la violence, voir où elle trouve sa source (dans l’environnement, la famille), comprendre son appréhension, les choix individuels qu’elle provoque. C’est le cas de Didier et Jean-Michel Lemaire, mais aussi de Ferrandez. Deux narrations classiques mais efficaces, même si peu surprenantes.
Yvan Alagbé situe son histoire après que ce choix ait été fait. Il essaie de comprendre ce que peut penser un bourreau, ce qui le fait fuir en avant. Deux mots émergeront : solitudes et silences qui dans un cercle vicieux s’entraînent jusqu’au précipice.
Un des récits les plus intéressants est celui de Raùl qui fait émerger de son dessin tout en frottage, des femmes belles et dignes (dans la douleur). Les personnages regardent au loin. Associés à des textes souvent énumératifs, Raùl fait passer le souffle et le drame épique de l’histoire algérienne. Cette bande s’offre alors comme une clef de voûte à cet album.

C’est chez Safia Yacef/Stefano Ricci et Kamel Khélif/Nabile Farès que l’on sent le plus fortement la présence du témoignage. La première histoire parle de la vie de tous les jours, dans les attentats roulette russe. La peur devrait paralyser, mais il faut manger, faire ses courses, traverser la rue … Chez Khélif et Nabile c’est l’exode rural dû à cette guerre, qui est évoqué. Il vient de régions jusqu’ici tranquilles qui en descendant sur la coté s’aperçoivent des différences de langage et de perception du temps. Ce n’est pas une rencontre ville/campagne, juste le constat que l’Algérie est aussi multiculturelle, et que ça aussi se meurt là-bas.

C’est Munoz qui signe finalement l’histoire la plus troublante. Il endosse le rôle de l’individu face à l’horreur, chez lui devant sa gazinière, ayant conscience qu’elle est alimentée en gaz algérien. Son dessin, sa pensée va en va et vient entre chez lui et l’Algérie, entre les mots (ceux des livres et des journaux) et des images (imaginées puisqu’on nous les cache), entre maintenant et après (qui sera aussi dur) …
Munoz a été en Algérie en tant que dessinateur invité, il sait son inutilité et s’interroge sur l’éventuelle utilité de ce travail celui que l’on lit dans cet album. Il se cerne, essaie de comprendre par analogie. Il se rappelle l’Argentine …
Alors Munoz ose rire ! D’un rire spasmodique jusqu’aux larmes ! Pour libérer l’individu face au ça ! Pour la vraie fin de la douleur et du mal dans cette Algérie pleine d’individus.

Chroniqué par en janvier 1999