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Vive la politique

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En règle générale, je me méfie des recueils thématiques dans lesquels on rassemble autour d’un intitulé suavement vague un collectif d’auteurs plus ou moins hétéroclite qui planche avec une mauvaise grâce affichée. Ce procédé accouche souvent de tartines fadasses et faciles à digérer, quand il ne s’agit pas tout simplement d’occuper avec méthode un système entier de niches commerciales.
Des éditeurs comme Bamboo ou Soleil se sont spécialisés dans la production de ces produits de synthèses qui réduisent le livre de bande dessinée au statut de déclencheur d’achat pavlovien : les blondes, les jeunes, les surfeurs, les profs, les cocus, les belges, les diabétiques et les centristes peuvent ainsi prendre place dans la rhapsodie des segments de marchés que tel ou tel petit malin a décidé de saturer. Même Fluide Glacial — ou plus exactement les éditions Audie, enfin Flammarion, euh je veux dire Rizzoli — s’y met : les guides de la télé, de la choucroute d’Alsace ou du bricolage facile remplissent à peu près la même fonction.

Pourtant, réunir des plumes différentes autour d’un thème fixé, c’est à la fois une contrainte intéressante — confronter les sensibilités et les regards sur un sujet commun — et une façon jouissive de mettre côte à côte des mondes parallèles où les formats courts et la juxtaposition des auteurs s’associent pour rythmer la lecture. Il y a des expériences réussies, depuis les numéros à thème de Pilote dans les années 60 jusqu’aux carnets de voyage collectifs de L’Association en passant par les «Franck Margerin présente» des Humanos première mouture.
Or, bonheur : Vive la politique ! s’inscrit plutôt dans cette veine que dans l’autre. Le volume paru chez Dargaud en novembre dernier réunit en effet un brochette d’auteurs très variés, que l’on n’aurait pas spontanément associés (F’murr et Frantico, Diego Aranega et Binet, Brétécher et Riad Sattouf, Emile Bravo et Mandryka…). C’est la première bonne surprise : du bon, et du varié, c’est le livre qu’on ouvre avec une certaine gourmandise, histoire de voir ce que tel ou tel aura pu faire du sujet, curieux de découvrir la gastronomie personnelle que chaque artiste aura produite pour accomoder le thème imposé.

Deuxième bonne surprise : le faible taux de cliché. L’exercice de style en regorge souvent : quand il s’agit de cibler un public captif, bien sûr, pas question de lui donner autre chose que ce qu’il veut. Il a dépensé ses sous, c’est forcément pour retrouver tout ce qu’il sait déjà, dessiné d’une manière qui ne lui pose aucun problème. De la luette au côlon, aucune aspérité : on se tape confortablement sur les cuisses en se reflétant dans ses inepties, et l’on ne demande grassement «où ils vont chercher tout ça» que pour éviter soigneusement de répondre, hé, banane, qu’ils vont le chercher dans nos propres cerveaux — et pas dans ce que ces derniers ont de plus reluisant.
Pas de clichés ? Des histoires pas téléphonées, pas toutes prévisibles, pas toutes déjà vues cent fois ? Bon signe. Surtout sur ce sujet. La politique, c’est compliqué. Il est toujours tentant d’enfourcher une monture convenue, de se déclarer pour la paix, contre la guerre ; pour la drauche, contre la goite ; non à tout et oui au reste. Pas trop de militantisme en couche-culotte, peu de bons sentiments creux, presque pas de facilité : un autre bon signe.

Enfin, la variété réelle des récits et des dessins est bien réelle. Il y a des collectifs qui sont la répétition du même geste artistique, dévitalisé par le fait même qu’il se duplique et se reduplique de page en page. Ici, on passe vraiment d’un monde à l’autre : de la satire parlementaire de Binet, qui fleure bon son Audiard (époque Le Président) à la splendide double page de F’murr sur l’éloquence politique, en passant par l’inénarrable «De Gaulle à la plage» de Ferri, tout fait ventre, et rien n’écœure. Il faudrait aussi citer la fable géométrique et muette (non, idéogrammatique) d’un Emile Bravo, qui parvient à faire une nouvelle soupe dans le déjà vieux pot de l’antilibéralisme dessiné ; et l’improbable campagne présidentielle des lascars de la cité, délire acide et intelligemment découpé de Diego Aranega, qui remet à leur place les enthousiasmes médiatico-citoyens ; et le reportage au ministère de Riad Sattouf avec ses belles caricatures de crétins en costard. On ne peut pas tout citer — il y a aussi du moins bon.

Voilà. Ce livre a peu de chance d’ébranler votre vision de l’existence ; on ne craint pas le choc esthétique ; ça ne deviendra pas un classique. Mais c’est intelligent, drôle, et assez sobre (si l’on oublie les citations d’hommes politiques intercalées entre les récits, et qui ne s’imposaient pas vraiment, même les bonnes), ça aère les idées et ça rappelle que le mordant et l’indépendance d’esprit de certains grands auteurs des années 70 peuvent encore rougeoyer efficacement, au point peut-être de donner brièvement la main à une nouvelle génération. Que ce type de recueil rende un peu d’air à une bande dessinée politique qui n’abandonne pas ce terrain au seul dessin de presse, c’est à soi seul une assez bonne nouvelle.

Site officiel de Dargaud
Chroniqué par en mars 2007