9e Art (n°5)

Cette (déjà) cinquième mouture de la revue annuelle du C.N.B.D.I. fait un état de la bande dessinée francophone (traductions comprises) dans la dernière et dixième décennie (qui affiche neuf bien sûr) du XXe siècle.
Grands courants, axes d’évolution, la vision synthétique de Groensteen fait donc merveille dans cette tentative de récapitulation et dans la coordination de ce dossier. Jennequin signe l’article décrivant l’apparition de la manga sur la scène francophone et Jean-Philippe Martin celui sur l’émergence du phénomène « Indé ». Un entretien à trois voix avec J. Binsztok (Seuil Jeunesse), J.-L. Gauthey (Cornélius), et G. Delcourt (le tout mené par Th. Groensteen et J.-P. Mercier), fait un bon portrait des nouveautés éditoriales de la décennie, que renforcent et enrichissent les articles au ton juste de J.-P. Mercier sur l’édition jeunesse, et de Laurent Gerbier sur certainement le meilleur éditeur « grand public » de la décennie : Delcourt.
Un article réjouissant de Bruno Canard fait enfin une lecture non « cuculte » de l’oeuvre de Van Hamme, dans une vision lucide montrant l’aspect trouble du célébré économiste scénariste.

L’article d’Harry Morgan sur les daily strips est certainement le moins intéressant de la revue. L’auteur semble curieusement y continuer sa « petite critique de la critique b.d. » et s’embourbe à essayer de montrer une pseudo révolution dans l’univers des daily strips américains des 90’s dont la majorité n’ont pas été traduit en français. On se demande donc ce que peut venir faire un tel article dans un bilan sur la bande dessinée francophone.
On pourrait aussi se poser cette question pour l’article d’Abraham Kawa (intitulé « Et si l’apocalypse n’avait pas lieu ? ») qui aborde les évolutions récentes dans les thématiques super héroïques. Mais à la différence de l’article précédent celui-ci est flamboyant. Traduit de l’américain il en apprendra autant sur ce genre de comics que sur l’Amérique elle-même.
Citons aussi pour être complets une mise au point de Bernard Joubert sur la censure pendant ces dix ans (en écho au dossier du n°4 de 9e art) et vous avez alors fait le tour de ce dossier.

Dans l’ensemble ce bilan aux frontières floues, déclaré uniquement sur le marché francophone puis débordant sur les E.U., apparaît vite un peu bateau malgré ses indéniables qualités. Les limites sont d’autant mieux perçues, qu’il fait l’impasse sur un des phénomènes éditoriaux majeurs de cette décennie : celui des ventes exponentielles des guides d’humours en « bédé » dont Vents d’Ouest fait ses choux gras. Le guide du jeune Père, par exemple, a actuellement dépassé les 400 000 exemplaires, ce qui en terme de ventes, en fait un livre, ou plutôt un produit, aussi important que XIII. Ce phénomène est d’autant moins marginal qu’il touche un public qui achète rarement des bandes dessinées et pour qui ces guides vont, ou représentent déjà, l’archétype (indépassable) de la bande dessinée (la fameuse « bédé » forcément rigolote offerte « aux grandes occasions » de la vie ^[1] .

En dehors de ce dossier la revue offre aussi les contributions de deux grandes signatures de la critique b.d. : P. Sterckx pour un article sur Moebius (son sujet de prédilection), et P. Fresnault-Deruelle ^[2] (avec Th. Groensteen) qui fait un judicieux rappel sur l’oeuvre du génial Francis Masse.
Notons aussi une réponse d’André-Marc Delocque-Fourcaud à un édito sainte nitouche d’un numéro « spécial B.D. » de Beaux Arts magazine, ainsi que des chroniques d’albums et de travaux d’auteurs signés G. Ciment, J.-C. Glasser, Évariste Blanchet (dont une de Th. Groensteen sur l’ami Cizo dont on regrettera seulement qu’il ne lui ait pas été ajouté quelques URL …).