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Les Casseurs de Pub en BD

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(La décroissance, hors-série n°34, Novembre-Décembre 2006)Utiliser la bande dessinée pour parler de décroissance et s’opposer au discours publicitaire semble a priori une bonne idée. On se rappelle que c’est dans la lignée de sa propre histoire, on se souvient de la contre-culture, de l’underground, mais aussi de cet humour à charge particulièrement français qui fut si prégnant dans les années 70 et fit que Charlie Mensuel, Hara-Kiri et La gueule ouverte de Pierre Fournier eurent le même éditeur.

C’est donc en partie à cette aune que la présence en kiosque de ce numéro hors-série de la revue La décroissance ayant pour thématique «les casseurs de pub en bd» fut perçu, mais aussi à celle des possibilités et avancées développées par le neuvième art depuis une quinzaine d’années, accompagné, précisons-le, d’une communauté de vue et de diagnostic, plus personnelle cette fois, vis-à-vis de la publicité et de ce monde en impasse qu’elle s’efforce d’habiller et de maquiller aux yeux naïfs ou s’ignorant myopes.

Mais autant le dire tout de suite, ce numéro spécial est affligeant, et témoigne d’une vision de la bande dessinée qui remonte aux années 80 et d’une méconnaissance totale de ces possibilités actuelles en tant que langage.
Certes, l’usage des lettres «b» et «d» sur la couverture aurait du me mettre la puce à l’oreille, comme cette présence visuelle générale très «ligne claire» et une maquette qui, par son noir, rappelle quelque peu le numéro «spécial Tintin» de Télérama paru il y a deux ou trois ans. Mais non, j’ai persisté et me suis retrouvé consommateur joué de ses attentes et entretenu dans ses frustrations en achetant un produit (car il s’agit bien de ça) conçu par ceux-là mêmes qui dénoncent justement ces pratiques.[1]

Au fil de ces 76 pages, de la pseudo subversion «pastichante» habituelle, ni plus ni moins mauvaise, égrainant la leçon bien apprise sur le mode du «expliquer en s’amusant» et du «on va rigoler les copains». Car, oui, vous l’aurez compris, ici la «bédé» reste bien ce médium vulgarisateur, un peu vulgaire, mais idéal pour s’adresser aux populations «bédéphiles» ne cultivant forcément pas une activité neuronale intense, ni une croissante publiphobie. Alors on exploite les vieux poncifs et c’est les Shadocks qui deviennent les Shappocks, et surtout c’est Tintin qui gagne en barbiche ce qu’il a perdu en houppette, et c’est Blake et Mortimer qui deviennent respectivement Francesca et Mortimorette. Bref, une ligne claire par ces évidences, ces banalité et ces clins d’œil nostalgico-allusifs et drôles qui ravira les collectionneurs «bédéphiles» si prompts à acheter les numéros spéciaux de magazines en cette période, surtout s’ils évoquent — même de façon lointaine — le trio des vieilles gloires éternelles que sont Hergé, Jacobs et Franquin.[2]
Pour faire bonne figure subversive et ne pas oublier l’autre tradition plus seventies de l’underground, on a du fac-similé et/ou des descendants de celle-ci, ainsi que la présence rapide de quelques «ferrailleurs».[3] Et sinon rien de plus, mis à part quelques manifestes et les bons de commande et d’abonnement.

Les publicitaires «manipulent les valeurs qui nous permettent de nous humaniser afin de nous faire acheter».[4] Me semblant humanisé et me désolant de n’avoir acheté qu’un objet[5] même pas imprimé sur du papier recyclé, je me demande qui est qui et qui casse quoi.
Les casseurs de pub ont été créés par un ancien publicitaire dit-on, cela explique possiblement et en partie cela, par la persistance, même dans les meilleurs intentions de l’alter monde, de travers et vieux réflexes «créatifs». Alors peut-être s’agit-il de soutenir une cause, et que si ce numéro est bien fabriqué avec les pieds, c’est sûrement comme d’autres peignent des cartes de voeux pour soutenir l’UNESCO. Oui, sûrement, pour cette fin d’année festive comme il se doit, mais sans la même habilité des membres inférieurs, ni le même injustice handicapante il faut bien l’avouer.

En refermant la chose qui ira directement dans la poubelle papier en assumant cette fois-ci pleinement son recyclage, on se dit que l’occasion est bien manquée, une fois de plus, que la bande dessinée faite de mots et d’images est pourtant idéale pour expliquer et démonter l’imagerie publicitaire, pour interroger ceux et celles qui ont le désir de changer, que les exemples de réussite existent,[6] mais que, malheureusement, ce monde est à la destruction et que décidément «casser» est un verbe violent ne se dégageant point de la maladresse et de l’infantilisme.

Notes

  1. J’essaie de me dire que c’est justement là, la leçon géniale qu’offre cet objet, mais pour l’instant je ne me suis pas convaincu.
  2. Il aurait pu y avoir Uderzo et Pratt, mais pas de chance, leurs personnages se situent dans des époques pré-«société de consommation».
  3. Il s’agit de Druilhe et Winshluss. Ce dernier est présent sans l’être, puisqu’il s’agit de la couverture de son album Mr. Ferraille. Idem pour Caza présent avec des illustrations, en particulier celles d’il y a un quart de siècle destinées aux couvertures de romans de John Brunner chez J’ai lu. Cette pratique n’est évidement pas gênante en soi. C’est l’absence d’explication, de dates, qui donnent à leur présence l’aspect de bouche-trou permettant à bon compte de boucler cinq pages.
  4. Extrait du manifeste des casseurs de pub p.68 de ce même numéro.
  5. Je note que cette attention à l’objet se retrouve jusque dans la maquette, puisque certaines planches sont imprimées/encadrées de manière à suggérer un album ouvert (cf. pp.66-67 par ex.). Une sorte d’album dans la revue, dont l’aspect suggère le collector et renvoie le magazine à un catalogue.
  6. Comme le Galopu sauve la terre de Mattt Konture par exemple.
Site officiel de Les Casseurs de Pub
Chroniqué par en décembre 2006